Quand tu te lances dans la céramique, il arrive forcément un moment où tu veux ajouter de la couleur à tes créations. Que ce soit un bleu profond dans un émail, une terre teintée dans la masse ou un dégradé subtil dans un engobe, tu vas forcément rencontrer deux grandes familles de colorants : les oxydes métalliques et les colorants de masse (ou pigments céramiques). Et même si, de loin, ils semblent jouer le même rôle, leurs propriétés, leurs usages et leurs effets sont bien différents.
Dans cet article, je t’explique tout ce que tu dois savoir pour les utiliser avec plus de maîtrise, de créativité et de sécurité.
Si tu veux aller plus loin dans la fabrication de tes émaux et dans la compréhension des couleurs, je t’invite à découvrir :
Les oxydes métalliques : des couleurs à l’état brut
Qu’est-ce qu’un oxyde métallique ?
Les oxydes métalliques sont des composés inorganiques obtenus par l’oxydation de métaux purs. Autrement dit, ce sont des métaux qui ont réagi avec l’oxygène. En céramique, ces oxydes sont utilisés comme colorants, fondants ou encore agents opacifiants, selon leur nature et leur dosage.
Ils se présentent généralement sous forme de poudres fines, souvent colorées : noir-bleu pour le cobalt, vert pour le chrome, brun-rouge pour le fer, etc.
À noter : ces oxydes sont souvent toxiques à l’état de poudre. Il faut donc les manipuler avec précautions (masque, gants, aération). Regarde bien les pictos notés sur les pots.
Les principaux oxydes colorants et leurs effets
Voici un tableau rapide des oxydes les plus couramment utilisés pour la couleur :
Oxyde
Couleur en oxydation
Couleur en réduction
Remarques
Cobalt (CoO)
Bleu intense
Bleu foncé
Très puissant, même à faible dose
Cuivre (CuO ou Cu₂O)
Vert turquoise
Rouge cuivré
Instable, dépend du mode de cuisson
Fer (Fe₂O₃)
Brun-rouge, jaune, noir
Noir ou bleu/gris
Très courant, économique
Chrome (Cr₂O₃)
Vert foncé
Vert olive/gris
Opacifiant, peut virer au brun selon les combinaisons
Manganèse (MnO₂)
Brun, violet, noir
Brun foncé
Utilisé aussi comme traceur de dessin
Nickel (NiO)
Gris, vert, brun
Variable
Couleurs incertaines, parfois ternes
Titane (TiO₂)
Jaune pâle, crème
Crème à brun
Opacifiant aussi
Oxydation : cuisson avec un apport suffisant d’oxygène (ex. : four électrique).
Réduction : cuisson en atmosphère pauvre en oxygène (ex. : four à gaz ou bois), ce qui modifie la structure chimique des oxydes.
Les avantages des oxydes métalliques
Polyvalence : ils peuvent être ajoutés dans des engobes, des émaux, ou même dans la terre elle-même.
Effets riches : réagissent avec les composants de l’émail (silice, alumine, fondants), ce qui donne des rendus parfois imprévisibles, mais très esthétiques.
Faible coût : en général, ils sont plus économiques que les colorants de masse.
Les inconvénients
Instabilité : les couleurs peuvent varier fortement selon le type de cuisson, l’épaisseur, la composition de l’émail, etc.
Toxicité : certains oxydes (plomb, cadmium, chrome, etc.) présentent des risques pour la santé.
Difficile à doser : une petite variation de quantité peut complètement changer le résultat final.
Et il faut garder en tête leur toxicité potentielle, en particulier à l’état de poudre. Certains (plomb, cadmium, chrome VI…) sont interdits dans les objets alimentaires ou réglementés dans certaines régions.
Les colorants de masse : la précision au service de la couleur
Qu’est-ce qu’un colorant de masse (ou pigment céramique) ?
Les colorants de masse sont des pigments céramiques stables à haute température. Contrairement aux oxydes métalliques bruts, ils ne changent pas radicalement de couleur à la cuisson. Cela s’explique par leur structure chimique particulière : l’oxyde colorant (comme le cobalt, le chrome, le fer…) est intégré ou encapsulé dans un réseau cristallin inerte, souvent appelé phase minérale ou structure hôte.
👉 Cette encapsulation rend le pigment insoluble et stable, ce qui veut dire :
Il ne se dissout pas dans l’émail
Il ne réagit (presque) pas avec les composants du four ou de l’émaillage
Il garde sa couleur après cuisson
Pourquoi encapsuler les oxydes dans ces structures ?
Sans encapsulation, un oxyde métallique :
Se dissout dans l’émail : la couleur devient floue, changeante
Peut réagir avec d’autres composants (silice, fondants) : la couleur vire
Peut même sublimer ou disparaître à la cuisson
Avec encapsulation :
L’oxyde est piégé dans une structure stable, souvent déjà précuite à haute température
La couleur est déjà “révélée” avant même la cuisson finale
Elle est insoluble, donc ne migre pas dans la glaçure
Résultat : Le pigment se comporte comme un minéral : il ne bouge pas, ne se mélange pas, reste visible et stable, même à haute température.
Compatibilité et limites
Température maximale
Chaque structure « d’encapsulation » a une température de stabilité à ne pas dépasser. Au-delà de cette température, le pigment peut :
Fondre ou se dissoudre
Changer de couleur
Perdre son pouvoir opacifiant
Influence de la composition des émaux
Même si les pigments de masse sont insolubles, ils peuvent quand même être affectés par certains oxydes présents dans l’émail. Ils n’aiment pas :
Le zinc : il peut dissoudre ou réagir avec certaines structures
Trop de magnésium : peut altérer certaines couleurs
Certains peuvent réagir légèrement à l’atmosphère (réduction/oxydation), surtout ceux à base de fer ou de cuivre.
En pratique, il faut toujours tester un pigment dans son propre émail pour vérifier son comportement. Même s’il est stable en théorie, de petites interactions chimiques peuvent modifier sa teinte.
Pouvoir colorant et dosage
Les colorants de masse peuvent être travaillés, réfléchis comme en peinture. Il faut cependant faire attention à des éléments.
Tous les pigments ne sont pas aussi puissants :
Certains sont très chargés en oxyde colorant : une petite dose (2–3 %) suffit
D’autres sont plus “dilués” : il faut parfois monter à 8–10 % pour une teinte saturée
Certains sont travaillés à partir d’oxydes métalliques plus ou moins puissants, leur action sera donc proportionnelle.
Dans des émaux brillants ET mats : la texture de l’émail peut modifier l’aspect visuel de la couleur
Avantages des colorants de masse
Stabilité : la couleur ne varie presque pas entre l’avant et l’après cuisson.
Sécurité : les métaux lourds sont encapsulés, donc moins toxiques que les oxydes à l’état libre.
Uniformité : parfait pour des pièces en série, où la constance des teintes est primordiale.
Polyvalence : utilisables dans les terres, les engobes, les glaçures, les pâtes colorées.
Inconvénients
Moins d’effets : ils ne réagissent pas avec les composants de l’émail, donc donnent des rendus plus « plats ».
Coût : souvent plus chers que les oxydes bruts.
Palette parfois limitée : certaines teintes sont difficiles à obtenir sans utiliser des oxydes purs (comme le rouge cuivré en réduction).
Oxydes VS Colorants de masse : les grandes différences
Critère
Oxydes métalliques
Colorants de masse
Origine
Naturels ou synthétiques (composés purs)
Synthétiques, encapsulés
Comportement en cuisson
Variable, dépend du four et des émaux
Stable, uniforme
Effets visuels
Rendus nuancés, réactifs
Teinte homogène
Usage idéal
Création unique, effets spéciaux
Production régulière, décor contrôlé
Sécurité
Risques à la manipulation
Moins de risques grâce à l’encapsulation
Prix
Plus économique
Plus onéreux
Comment choisir entre les deux ?
Tout dépend de ton objectif et de ton niveau technique.
Si tu veux des effets aléatoires, des textures mouvantes, et que tu es prêt à expérimenter, les oxydes sont pour toi. Ils sont comme une matière vivante : instables, mais riches.
Si tu cherches une couleur précise, que tu veux retrouver d’une cuisson à l’autre, et que tu travailles des séries ou des décors homogènes, alors les colorants de masse sont ta meilleure option.
En réalité, beaucoup de céramistes combinent les deux selon leurs besoins.
Cas pratiques et astuces de céramiste
Teinter une barbotine
Avec un oxyde : la teinte sera souvent plus subtile, et pourra se modifier à la cuisson (ex. : une barbotine au cuivre peut virer du vert au rouge selon l’atmosphère du four).
Avec un pigment : la teinte restera constante, idéale pour un engobe coloré ou une décoration précise.
Créer un émail coloré
Les oxydes donnent des effets intéressants : points, variations, cristallisations selon la composition de l’émail.
Les colorants de masse permettent d’obtenir une glaçure uniforme, mate ou brillante, avec une couleur fidèle à l’attente.
Colorer la terre elle-même
C’est possible dans les deux cas, mais attention aux dosages :
Avec un oxyde, dépasse rarement 2 à 4 %.
Avec un colorant de masse, tu peux monter jusqu’à 10 %, voire plus, selon la saturation souhaitée.
Sécurité et éthique
Un dernier point important : que tu utilises des oxydes ou des pigments, renseigne-toi sur leur toxicité et leur impact environnemental. Certains oxydes (plomb, cadmium, chrome VI, etc.) sont interdits dans certaines pratiques (notamment pour les pièces alimentaires).
Privilégie toujours les fiches de données de sécurité (FDS), porte un masque FFP2, gants et travaille dans un espace aéré.
Conclusion
Les oxydes métalliques et les colorants de masse sont deux outils fondamentaux dans ta palette de céramiste. Les premiers sont vivants, expressifs, parfois capricieux, mais tellement riches. Les seconds sont fiables, constants, précis, et souvent plus sûrs.
Il n’y a pas de bon ou de mauvais choix : tout dépend de ton intention artistique, de ton mode de cuisson, de l’usage prévu (alimentaire ou décoratif), et de ton envie d’expérimenter.
Et toi, tu es plutôt poète de l’oxyde ou ingénieur du pigment ?