Contrôle DGCCRF chez des céramistes : retour d’expérience
Un contrôle DGCCRF des céramistes peut arriver sans prévenir. Pour beaucoup de céramistes, c’est un sujet peu connu, rarement anticipé, et souvent sou...
Par Sarah
Julien Truchon est un céramiste installé à Patrimonio, en Corse. Héritier d’un savoir-faire familial, il a su tracer sa propre voie dans l’univers de la céramique contemporaine, entre tradition, expérimentation et réflexion. Rencontre avec un artisan passionné, profondément humain, pour qui créer est avant tout une quête de sens.
Je suis né dans la céramique : mon père était céramiste. Je n’avais pourtant pas l’intention de reprendre. J’avais envie d’autres aventures, pas forcément géographiques, mais d’exploration. Quand mon père a pris sa retraite, il m’a proposé soit de reprendre, soit de laisser partir l’atelier. J’ai dit oui, sans trop savoir pourquoi. J’y voyais une aventure, une liberté. Je ne voulais pas exercer comme lui, même s’il m’a transmis énormément de techniques. J’avais besoin d’une vision à moi.
La poterie a des millénaires : je n’ai rien réinventé. Je me suis approprié des formes, des mots, surtout une vision. Je me demande régulièrement : Quel céramiste je veux être dans 10 ans ? À qui je veux m’adresser ? Où je veux aller ? Quand la direction est claire, les décisions du quotidien deviennent plus simples.
Je suis parti me former en Bourgogne (Cnifop). Au début, j’appréhendais. L’arrivée a été rude, mais j’y ai passé deux années formidables. La céramique n’était pas à la mode ; on sortait de l’après-68, c’était un monde un peu à part, presque une confrontation. Puis c’est devenu une très belle aventure.
Plus tard, je suis parti au Japon grâce à une opportunité de la région Corse pour de jeunes artisans d’art. Ce n’était pas un stage chez un seul artisan, plutôt une itinérance d’atelier en atelier : cérémonies du thé, rencontres, clients assis en tailleur qui prennent une heure pour choisir un bol. Techniquement, la France n’a rien à envier, notamment sur les fours à bois, mais au Japon, la céramique a une dimension culturelle incomparable : on parle de grands maîtres, de « trésors vivants ». Ce voyage m’a donné des appuis, de la confiance, presque des ailes.

Dans mon atelier, je travaille des jarres, de l’utilitaire, mes émaux, et des installations suspendues. Chaque année, je me frotte à une technique inconnue. Récemment : la feuille d’or, en autodidacte. J’ose, c’est tout. Les arts de la table ont chez moi une dimension méditative. Je suis issu de l’école des tourneurs en série, une génération presque disparue : j’ai un immense respect pour ces gestes d’une précision folle.
Mon apprentissage, c’est environ 30 % d’héritage paternel, plus une culture acquise au fil des années : formation, lectures, échanges, et beaucoup via les réseaux sociaux au début (je postais sur Facebook, ça a grandi doucement). Depuis 5–6 ans, je siège au conseil d’administration d’Ateliers d’Art de France. Je rencontre énormément de céramistes, je participe à des salons. C’est précieux, ça démultiplie la culture générale.
Je travaille avec un salarié à l’année. L’été, on accueille deux stagiaires en formation professionnalisante, qui aident aussi en boutique. Un ami tourneur en série (65 ans) vient une ou deux fois par an : pendant un mois, on tourne intensément, souvent en décembre. Sur l’année, j’alterne séries utilitaires, recherche et… inactivité volontaire. Ces moments à ne rien faire sont vitaux : ils libèrent la tête et font naître les idées.
Je fais très peu de croquis. À 90 %, tout est conçu mentalement avant de toucher la terre. C’est le fruit de l’expérience, mais cela crée une surcharge mentale. D’où l’importance de garder des espaces de silence, loin de l’administratif, des réseaux, des impératifs techniques.
Je déteste prospecter. Je l’ai fait une seule fois (pour des urnes funéraires), et ça n’a pas pris. Les réseaux sociaux ont tout déclenché : produire le plus beau possible, le montrer correctement en photo, diffuser… et tenir sur la durée. La presse est venue ensuite. Aujourd’hui, je ne contacte jamais personne : la boutique et la réputation alimentent l’atelier, avec des hauts et des bas, bien sûr.

Je suis ancré à Patrimonio, en milieu rural, dans un environnement agro-pastoral magnifique. La boutique a grandi : de 20 m² « caverne d’Ali Baba » à 70 m² aujourd’hui, véritable showroom. J’ai tout réinvesti depuis 20 ans : atelier, boutique, scénographie. J’aime centraliser pour garder une cohérence : installations, mises en scène, échanges avec mon second et les stagiaires… J’ai besoin d’être présent.
La livraison n’est pas le plus gros souci. Ce qui manque, c’est le lien humain régulier avec les fournisseurs et un réseau local structuré : peu d’expos, pas de marchés dédiés, très peu d’adhérents AAF sur l’île. Il faut donc sortir, voir des salons, multiplier les échanges au-delà des réseaux sociaux.
Les marchés, j’ai arrêté : j’ai trop attendu derrière des stands. Les salons, je n’en avais pas besoin économiquement. Aujourd’hui, j’y vais surtout pour échanger (via AAF). J’envisage peut-être de présenter un jour mes installations suspendues à Maison & Objet ou Révélations : ce serait du lourd techniquement, à réfléchir.
J’ai aussi monté une exposition à la bougie à l’atelier : tout dans le noir, des bougies partout, une ambiance musicale planante, des textes à lire. C’était magique, mais l’hiver, ici, on est isolés : peu de passage. On l’a fait trois fois. Peut-être qu’un été serait plus adapté.
Je n’organise pas de stages courts. En vrai, je préfère accompagner des professionnalisations sur la durée, pour un partage humain et une vision globale du métier. Je corrige, j’oriente, j’échange , plus que je ne tourne à leurs côtés.
Dernière fierté : l’installation suspendue « Les sardines » à Marseille, conçue avec un chef. C’est rare d’avoir une œuvre aboutie à 100 % : celle-ci l’est. Bien sûr, derrière, il y a des jours de doute et de responsabilité : que rien ne tombe, que l’harmonie soit là, que ce soit beau.
On voit souvent les succès, rarement les heures sombres : l’isolement, les séries interminables, les échecs techniques. Tout cela m’a construit. Si je devais donner un seul conseil, ce serait de cultiver la paix. C’est dans ces instants qu’on crée le plus juste.
Cette interview avec Julien Truchon a été un vrai coup de cœur.
On te laisse l’écouter, découvrir son univers, ses pièces, ses mots , et je serai ravie d’avoir ton retour !