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Colette Gueden : entre céramique et design

08 septembre 2025

Par Lisa Lorenzelli

Née à Saint-Étienne en 1905, Colette Gueden a profondément marqué l’esthétique française du XXᵉ siècle. Pourtant, comme beaucoup de créatrices de son temps, elle n’a pas toujours reçu la reconnaissance qu’elle méritait. Issue d’un milieu où les arts appliqués occupaient une place importante, elle reçoit une formation solide. Très tôt, elle s’intéresse autant aux formes qu’aux matières. En 1930, elle intègre l’atelier Primavera, département de création des magasins Printemps. Rapidement, elle en prend la direction artistique. Dans un univers encore dominé par les hommes, elle impose un regard singulier : modernité et poésie, rigueur des lignes et délicatesse des décors.

Ses créations sont diffusées par les grands magasins et touchent un public large. Elles contribuent ainsi à démocratiser un design raffiné et élégant, mais jamais ostentatoire. Réduire Colette Gueden à une simple « designer de grands magasins » serait pourtant injuste. Son talent s’est exprimé dans de nombreux domaines. Céramiste inventive, elle imagine des formes sobres rehaussées de motifs stylisés. Décoratrice, elle conçoit aussi bien des intérieurs que des ensembles complets de mobilier. Elle crée également des bijoux, des papiers peints, des textiles et des luminaires. Véritable touche-à-tout, elle mêle goût pour l’artisanat et précision technique. Sa curiosité insatiable pour les tendances nouvelles lui permet d’imposer un style immédiatement reconnaissable.

L’éclosion d’un talent

Formée aux Beaux-Arts de Saint-Étienne, Colette Gueden rejoint très tôt, en 1927, Primavera, l’atelier de création fondé par René Guilleré et Madeleine Vionnet au sein du Printemps. Elle y gravira rapidement les échelons : manager dès 1934, puis directrice artistique en 1938. À la veille de la Seconde Guerre mondiale, elle tient déjà les rênes de l’un des ateliers les plus influents du design français. Son style ? Une élégance sensible, féminine et fantaisiste, où l’on sent la poésie et l’amour des matières. Bois, métal, corne, verre, nacre… elle les mélange avec liberté et audace. Ses œuvres se distinguent par leur raffinement, mais aussi par une joie espiègle : la France des années 30 a besoin de fantaisie, et la céramiste sait l’offrir.

Designer d’édition : comment lire et attribuer les céramiques de Colette Gueden

Dans l’histoire des arts décoratifs, Colette Gueden occupe une place unique. Plus que potière de studio, elle est avant tout designer et directrice artistique chez Primavera, l’atelier d’art des grands magasins Printemps. Son rôle ? Créer les modèles, inventer les formes et les décors, diriger les collections. L’exécution est ensuite confiée à des ateliers de céramique en France comme Saint-Leu-la-Forêt, Vallauris ou Limoges. Elle collabore aussi avec des céramistes renommés tels que Pol Chambost. Lorsque l’on trouve la mention « Primavera, d’après un modèle de Colette Gueden », cela veut dire que : Les marques apposées sont « Primavera », « Made in France » et parfois la signature du céramiste exécutant. Gueden a dessiné et supervisé la création, parfois jusqu’à la maquette. Un atelier a réalisé et édité la pièce.

Comme Gio Ponti chez Richard-Ginori, Gueden est une auteure de formes et de styles, et non une potière artisanale travaillant seule dans un atelier. Dans les années 1940-1950, elle développe un style très personnel : bustes partiellement émaillés, parures de coquillages, bestiaire stylisé. Son œuvre illustre parfaitement le rôle des créateurs de design céramique français d’après-guerre : des artistes qui inventent et dessinent, puis des ateliers qui produisent.

© Pol Chambost – vase corolle n°1055

Un parcours jalonné de créations iconiques

Le parcours de Colette Gueden en céramique est marqué par des créations devenues emblématiques. Dans les années 30, elle célèbre l’art de la table. Ses services en faïence décorés de monuments parisiens et de paysages français transforment chaque repas en véritable récit patrimonial. L’humour, la couleur et l’élégance s’invitent dans les assiettes, donnant naissance à une céramique décorative joyeuse et moderne. Dans les années 40, son travail prend une autre direction. La série de Saint-Leu-la-Forêt met en lumière des bustes féminins en céramique émaillée. Cheveux relevés, parfois ornés de coquillages, visages délicats, douceur méditerranéenne : chaque pièce incarne une poésie troublante.

COLETTE GUEDEN (1905-2000) & PRIMAVERA

© COLETTE GUEDEN (1905-2000) & PRIMAVERA – Suite de 10 assiettes en porcelaine, bords à pans coupés, décor émaillé polychrome de natures.

Ces sculptures en céramique deviennent rapidement des icônes, témoignant du talent de l’artiste à capter la grâce féminine et à l’ancrer dans la matière. En 1949, la reconnaissance officielle consacre son parcours. La République lui confie la réalisation de bas-reliefs monumentaux pour La Marseillaise. Colette Gueden crée aussi du mobilier destiné au président Vincent Auriol. Celle que l’on surnommait la « designer des grands magasins » entre ainsi dans la sphère institutionnelle, confirmant la place de la céramique comme un art à la fois décoratif, symbolique et politique.

© COLETTE GUEDEN (1905-2000) – La Marseillaise (1949)

La redécouverte d’un héritage

Comme beaucoup de femmes artistes du XXe siècle, Colette est longtemps restée dans l’ombre. Reléguée à la marge, son nom a été éclipsé par les grandes figures masculines du design et des arts décoratifs. Sur le marché de l’art, les céramiques de Colette connaissent une nouvelle visibilité. Longtemps restées confidentielles, elles séduisent désormais collectionneurs et amateurs d’art décoratif. Aux ventes aux enchères, ses créations atteignent des prix significatifs : un meuble signé peut grimper jusqu’à 9 000 €, tandis que ses luminaires en céramique ou en métal se négocient autour de 7 000 €. Les bustes féminins, pièces emblématiques de son style, trouvent preneur à près de 2 700 €, de même que ses objets décoratifs en faïence et en émail. Cette cote témoigne d’un véritable retour en grâce.

La valeur des céramiques reflète non seulement leur rareté, mais aussi la reconnaissance tardive d’une artiste longtemps restée dans l’ombre. Chaque vente confirme que Colette a su marier la tradition de la céramique française avec une vision moderne du design. Ses pièces ne sont plus seulement des objets utilitaires ou décoratifs : elles deviennent des œuvres d’art recherchées, inscrites dans l’histoire du marché de la céramique du XXe siècle.

Pourquoi redécouvrir Colette Gueden aujourd’hui ?

Parce que ses pièces racontent une autre histoire du design français : celle d’une femme qui, en toute discrétion, a réussi à imposer sa vision dans un univers largement masculin. Son travail mélange naturellement art et vie quotidienne. Son style raffiné et plein de fantaisie garde toute sa force aujourd’hui : à une époque où l’on cherche du sens et de la beauté dans les objets du quotidien, ses pièces paraissent étonnamment modernes. Colette Gueden n’est pas seulement une « figure oubliée » : c’est une pionnière discrète, une véritable poète du design, dont l’héritage continue d’inspirer collectionneurs, décorateurs et amoureux du bel art de vivre.